lundi 13 octobre 2008

Pour une idée générale et schématisée: la conclusion

La Chinafrique est un thème qui provoque depuis le sommet de Beijing en 2006 bien des passions. Doutes, défiances, méfiances, suspicions voire jalousies d’un côté, espoirs, convictions et attentes de l’autre. Les représentations crées médiatiquement ou localement amènent déjà à une conclusion inattaquable et indubitable : la Chinafrique est hétérogène, complexe, et non simple et homogène comme certains esprits voudraient la présenter .

L’Afrique devient pour la Chine populaire, un accélérateur et un catalyseur des critiques et remontrances adressées par l’U.E. et les États-Unis. La Chine, acteur géopolitique et économique du XXIe siècle, est un de ces États ayant fait exploser et rendu caduque les théories du Nord, du Sud, des pays en voie de développement. Il existe donc des Suds, comme il existe des Nords. La Chine a surtout - et largement - contribué à ramener l’Afrique subsaharienne au centre de la géopolitique mondiale. L’Afrique a de la valeur se diront les Européens en voyant les promesses de dons, contrats et financements de Hu Jintao au discours de clôture du troisième sommet Chine-Afrique de 2006. Hu Jintao, Deng Xiaoping et Zhou Enlai auront été les trois principaux acteurs de ce retour fracassant et médiatisé sur sol africain. Le second indirectement, en incitant ses compatriotes à s’enrichir, le premier en redéfinissant la politique africaine. Le troisième enfin, grand amoureux du continent, aura été le premier à effectuer les devenues célèbres, tournées ou « périples » africains.

Historiquement, la Chine « communiste » et non-alignée n’a effectivement plus de conseils à apporter. Parlant de relation win-win, elle a conscience que la réalité économique dépasse l’idéologie prônée dans les années 1960. Les cinq principes évoqués dans ce partenariat sino-africain sont ardus à appliquer, dès lors que les enjeux géopolitiques et géostratégiques interviennent et pèsent dans la balance. La diversification énergétique et son approvisionnement étant la priorité non-déclarée du PCC, Pékin se distingue encore par ses nombreux dons et prêts sans intérêts aux caractères socio-économique indéniables et bénéfiques à la partie africaine. Les chemins de fer, les ports, les raffineries, les centrales thermiques, les ponts et barrages, sans oublier les hôpitaux et missions médicales, stades, réseaux téléphoniques ou Internet, sont et seront des infrastructures permettant le développement de ce continent marginalisé – et pourtant mondialisé. Paradoxalement, ces infrastructures chinoises aujourd’hui décriées, seront en partie les moyens dont se serviront les pays occidentaux pour placer leurs capitaux. L’Afrique n’est pas rentable, comment et pourquoi investir sur des territoires dépourvus de tout réseau routier et ferré… ? Ils sont « grâce » à la Chine présents ou en en construction, alors quelle excuse maintenant pour refuser l’engagement financier ?
Les flux financiers chinois sont parfois la seule solution trouvée par certains chefs d’États pour percevoir les investissements refusés par Washington, Paris, Londres et consoeurs. Les deux mille milliards de réserves dont dispose Pékin est l’un des facteurs déterminants de cette implantation. Ceci nous amène à des données improbables encore quelques années auparavant : le BTP en Algérie est à 80 % l’œuvre de la Chine ; 30 % du pétrole chinois provient du continent africain ; en une décennie, la Chine est devenue le troisième partenaire de l’Afrique, de peu derrière la France ; de 10 milliards en 2000, les échanges sino-africains atteindront les 100 milliards en 2010, etc.

Mais plus que globalement, c’est localement que se trouvent les éléments de réponse. Les sociétés chinoises sont dorénavant les meilleures entreprises selon le rapport qualité-prix. Cette réalité et réussite économique est possible par la main d’œuvre bon marché, les économies d’échelle et aides liées. Il faut là aussi éviter les amalgames entre les sociétés d’État, et sociétés privées, les premières recevant certaines aides étatiques, les secondes ayant plus une stratégie personnelle, propre, qu’une volonté d’ « envahir » le continent noir.

Contrairement aux relations franco-africaines, la relation s’est construite autant par le bas que par le haut. Cette spécificité peut d’ailleurs paraître incompréhensible, mais la Chinafrique est bien une création humaine, autant que politique. Le facteur politique justement n’est intervenu qu’après une longue pause. Les deux temps clés étant la conférence de Bandung et le premier sommet sino-africain de 2000.
Les acteurs de la Chinafrique, une spécificité inhérente à ce mémoire. Plus urbains que ruraux, et ceci est logique sur un continent encore sous-développé, ils sont présents dans l’ensemble des domaines économiques et/ou sociaux : habillement, médecine, alimentaire, agriculture, industrie, commerce, transports, télécommunications, pêche, génie civil bien entendu… Là encore, les contextes locaux et leurs particularités influencent les migrations chinoises, qui elles-mêmes influencent le contexte local. Le développement des communications par satellites et Internet jouent ici un rôle non-négligeable, les détaillants et commerçants chinois pouvant acheter de Dakar les marchandises que l’on retrouvera à Bamako, sur les bana-bana de la presqu’île du Cap-Vert, jusqu’aux villages reculés maliens, sénégalais ou mauritaniens.

Justement, ces détaillants implantés à Dakar et Bamako, sont distincts, par de nombreux éléments. À Bamako, ils ne sont pas majoritairement originaires du Henan – contrairement à Dakar – ne vivent pas dans ces échoppes ayant l’aspects de garages réhabilités, ne sont pas encore regroupés en un Chinamarket, n’amenant de fait que peu de représentations desservant la communauté chinoise malienne. Cependant, plus qu’à Dakar et à Nouakchott où d’ailleurs les ressortissants chinois sont essentiellement ou presque, des employés des grandes sociétés publiques et privées (BTP, pêche, télécommunications, énergie), les Chinois insérés dans la vie socio-économique malienne sont accusés (à raison) de beaucoup de maux inhérents à toute capitale : prostitution, trafic de drogue et corruption. Plus largement, les autochtones accusent les migrants asiatiques de non-adaptation au conditions locales (cultures, mode de vie, coutumes…), de ne jamais sous-traiter les projets aux entreprises locales, d’amener les ouvriers directement de Chine et donc de ne pas recruter sur place… J’ai par ailleurs décrit les représentations patronales quant à la présence des commerçants et chefs d’entreprises chinois. Vexés, perdant par cette concurrence une part non-négligeable de leur chiffre d’affaires, ils instrumentalisent certains groupes sociaux pour in fine les envoyer battre le pavé dakarois (et camerounais). D’autres manifestations revendiquant une augmentation du pouvoir d’achat (Mali) dégénèrent en saccages de boutiques chinoises : s’agit-il d’un sentiment xénophobe refoulé explosant avec la pression populaire ou une réelle représentation, un non-dit ? Un non-sens, ce sont ces vendeurs qui ont baissé par leur arrivée, le prix des produits non-alimentaires de consommation courante, pourquoi donc les attaquer et piller ? Ou simplement, une manifestation ayant dégénéré ?

Au Sénégal, la réponse est simple, la grève des commerçants sénégalo-libanais et sénégalais étant exclusivement une politique de rejet, destinée à faire remonter jusqu’à la présidence leurs revendications. Un patriotisme économique créant une dyssimétrie avec la fameuse teranga sénégalaise…

Une perspective amenant bien des interrogations : si des Chinatowns et Chinamarkets se créent dans toutes les capitales africaines, quelles seront les réactions ? Localement, elles seront bien entendu différentes, plus ou moins agressives. Quelles solutions pour des gouvernements parfois dépassés, ne maîtrisant pas les entrées et sorties territoriales ? Devront-ils imposer des postes de police comme au marché Congo de Douala au Cameroun ? Le regard international porté sur les relations sino-africaines n’en deviendra qu’autrement plus pesant… pour les deux parties.

Un de ces deux acteurs commence par ailleurs à faire remonter certaines critiques, certains désaccords. Une « relation inégale » selon Thabo Mbeki, des déceptions chinoises en Zambie, en Angola… Il est essentiel de comprendre ceci : les États africains doivent choisir et manoeuvrer la relation avec la Chine, plutôt que d’en subir les conséquences . Ils n’auront en définitive, que la relation qu’ils méritent. Ce besoin d’Afrique et de ses ressources ne doit pas recréer les ambivalences franco-africaines, ces rapports déséquilibrés voire de sujétion.

Si les deux mondes, chinois et « africains », ne sont pas si éloignés, les intérêts ne coïncident pas toujours ! La Chine aura besoin de ce continent pour assurer son développement effréné. L’Afrique elle, doit globalement prendre ses responsabilités : les universitaires et étudiants, souvent formés dans les meilleurs universités étasuniennes et européennes, doivent prendre à leur compte ces enjeux afin d’imposer cette constante dans toutes les présidences subsahariennes : exiger de tout partenaire des échanges de savoir-faire et techniques, ceci pour à moyen terme, investir massivement dans les secteurs publics, seuls secteurs à somme positive qui pourront réellement poser les bases d’un développement souhaité par la quasi-totalité, capitalistique… ou non.

À l’échelle nationale, soit, du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal, les enjeux sont foncièrement les mêmes. Économiquement, politiquement, diplomatiquement, les relations avec la RPC ne sont pas les mêmes selon les États.

Le Mali a été l’un des premiers États africains à reconnaître Pékin et le régime maoïste. C’est aussi le cas dans l’autre sens, Pékin ayant rapidement reconnu Bamako après son indépendance. De cette relation privilégiée car basée sur des rapports de socialistes à socialistes, une coopération riche et nombreuse en projets est encore de nos jours en vigueur, malgré les virages politiques pris par les deux États. Les cogestions, représentation type de l’économie socialiste, aidèrent le Mali à amorcer une tentative d’industrialisation – impossible par le manque de personnel qualifié et de financements internes comme externes.

Les privatisations imposées par le « consensus de Washington » et les PAS auront déstructuré ces cogestions, en remerciant une dizaine de milliers de travailleurs et leurs familles, fixés sur des territoires à faible densité de population . N’idéalisant aucunement ces sociétés mixtes, les conditions de travail étant difficiles et précaires, ce furent tout de même des milliers d’emplois sacrifiés au nom de la libéralisation occidentale et de cette institution mondiale qui, finalement, annula une grande partie des dettes contactées – dont le but était pourtant de désendetter le Mali et d’encourager l’investissement étranger (les IDE)…

En Mauritanie aussi, la Chine s’est rapidement implantée . Seules cinq années auront suffit, après l’indépendance, pour trouver ce partenaire qui deviendra plus de quarante ans plus tard, son premier partenaire commercial, devant l’acteur régional historique qu’est la France. Le nombre de réalisations, l’hétérogénéité des secteurs économiques investis (ce qui est relatif pour un pays comme la RIM – la pêche ayant pérennisé l’implantation chinoise) et des domaines de coopération prouvent l’importance de l’implantation chinoise dans ce désert, à la frontière historico-culturelle de l’Afrique Noire et de l’Afrique Blanche. Si les ressortissants chinois sont aussi nombreux qu’au Sénégal (plus d’un millier), les commerçants se font rares et discrets. Trois raisons à ce phénomène exclusif dans les trois États étudiés, un contrôle strict par les Maures du commerce et un marché, faible en pouvoir d’achat et en nombre (3 millions d’habitants) n’incitant pas ou peu les Chinois à s’établir à Nouakchott ou à Nouadhibou. Enfin, les prêts ou ventes à crédits accordés aux compatriotes ne sont pas l’apanage des Chinois qui eux n’avancent pas ou presque.

Les sociétés chinoises, privées comme publiques, sont les réelles représentations locales de Pékin. Pour le PCC, la Mauritanie est avant tout le pays des grands projets, des grandes infrastructures. L’aéroport international, la présidence, une voie ferrée de 430 km, le port de l’Amitié… Étrangement, la majorité de ces projets sont en voie de réalisation chez le voisin du Sud, au Sénégal. Mais ce dernier, ayant publié les appels d’offres respectifs, a choisi des « sociétés arabes », de Dubaï ou Saoudiennes principalement, pour effectuer ces prestigieux complexes.

Au Sénégal donc, si les sociétés chinoises sont plus concurrencées qu’en Mauritanie ou au Mali, elles sont très implantées dans les deux secteurs clés, la pêche et le BTP. Depuis trois ans et le rétablissement des relations, la Chine populaire dépasse l’un après l’autre les partenaires commerciaux. Mais les échanges ne se sont pour autant pas arrêtés durant la parenthèse taiwanaise, la diplomatie est une chose, le commerce une autre. La France, de loin le partenaire le plus influent, s’inquiète de cette montée en puissance, en témoigne les études - impossibles à obtenir - sur le sujet. L’enjeu pour cet État sera de contrôler, plus ou moins officiellement, son Chinamarket. Source de tensions, conflits d’intérêts et de représentations exacerbées par certains acteurs économiques voire politiques, le boulevard du général Charles de Gaulle et son prolongement par le Sud, est maintenant connu jusque dans les villages maliens.
Le Mali et le Sénégal, pourtant extérieur au grand jeu inhérent aux matières premières, sont toutefois affiliés à cette relation globale Chine-Afrique. Les nombreuses comparaisons que possèdent ces trois États par rapport à la Chine (constructions d’infrastructures essentielles au développement, de bâtiments officiels et emblématiques, symboliques tels les Assemblées Nationales, les Centres Internationaux, les Stades, les Palais présidentiels…) seraient identiques au Cameroun, en Guinée…

Une chance pour l’Afrique subsaharienne qu’il ne faudra pas gâcher ? Un nouvel eldorado pour les investisseurs chinois, indiens, arabes et sud-américains ? Les présidences ont les cartes en main, et ne devront pas se laisser aveugler par les mannes distribuées. D’ailleurs, cette implantation chinoise reste encore fragile et récente. Ce « renouveau » chinois en Afrique doit être pris pour ce qu’il est : une relation politico-économique d’une décennie, après un relatif vide de trente années En réalité, une évolution de la coopération où les enjeux économiques prédominent. Les positions chinoises pourraient autrement se durcir, après plusieurs attentats et enlèvements, ou sérieux revers comme il en existe déjà.

La multiplicité des dynamiques et des acteurs, engendrés par la croissance économique nationale, crée une variété de réseaux et de stratégies. Dès lors, proposer une prospective est hasardeuse dans ces régions souffrant d’un déficit démocratique et de transparence.

Ce bailleur non-conventionné du continent fait évoluer sa politique africaine au rythme de son économie et de son développement, rapidement donc, mais surtout selon ses propres besoins internes.

mercredi 8 octobre 2008

Pourquoi ce blog?

La création de ce blog répond à plusieurs volontés: partager les connaissances évidemment, en proposant non-seulement mes travaux mais également en ajoutant chroniquement, des informations relatives aux précédentes études effectuées sur ce thème.
Seconde nécessité, le partage et l'échange d'informations, de données, de théories pourquoi pas...
Enfin, proposer aux visiteurs une vision personnelle des relations sino-africaines et précisément, des relations entre la République Populaire de Chine et les États ouest-africains.
Bien entendu, toute citation ou emprunt de textes-cartes demande un renvoi ou une note indiquant la source...Merci!

Bonne lecture.